Carmilla, composée par Sheridan le Fanu (1814-1873), est l’une des premières œuvres de la littérature vampirique – après Le Vampire de Polidori et Varney d’une plume anonyme, puisqu’elle parait en 1871, c’est à dire 26 ans avant le Dracula de Bram Stoker. Tout comme ce dernier, Le Fanu est irlandais, et appartient à l’ascendancy protestante ; il ont, tous deux, fréquenté les couloirs du Trinity Collège de Dublin, ainsi que les salons mondains de la bonne société. C’est dans un de ces salons qu’un beau soir, Carmilla fut lu à Stoker, par Mrs Wilde elle même. Ce texte influencera Stoker au point que celui-ci fera apparaître sa tombe, par l’entremise du tombeau colossal d’une comtesse vampire, dans le premier chapitre de sa première version de Dracula. Son éditeur, n’appréciant guère cette référence à une œuvre aussi sulfureuse, lui fera supprimer ce passage (passage qui sera ultérieurement réutilisé dans la courte nouvelle de Stoker, L’Invité de Dracula).
Quand Le Fanu écrit Carmilla, à la fin de sa vie, il est déjà un auteur confirmé. Écrivain prolixe, propriétaire pendant de nombreuses années du prestigieux Dublin University Magazine, il s’est essayé à tout les genres : romans, articles et essais, théâtre, poésie, nouvelles. Il connu un succès certain avec Oncle Silas (1864), considéré comme un chef-d’œuvre tardif du roman gothique.
Carmilla s’inscrit dans la grande tradition du roman gothique irlandais. Il en possède la plupart des caractéristiques archétypiques : naïveté de l’héroïne, forme du journal intime, cadre médiéval sombre et mélancolique, références aux anciens romans légendaires médiévaux.
L’histoire de Carmilla semble avoir été inspirée à Le Fanu par l’ouvrage du bénédictin Dom Augustin Calmet (auteur de la fameuse Dissertation sur les Apparitions des Esprits, les Vampires, les Revenants… – 1751) qui est traduit en anglais dès 1850. Le Fanu en reprend nombre d’anecdotes (la commission officielle autrichienne, l’histoire du bûcheron, ainsi que les ouvrages traitant des vampires cités à la fin de Carmilla et qui figurent aussi dans le livre de Calmet…).
Autre caractéristique qui distingue Carmilla par son originalité : c’est un des premier ouvrages qui, dans le cadre de l’Angleterre puritaine et victorienne du XIXe, ose traiter de l’homosexualité féminine, avec la trouble relation entre Carmilla, la brune voluptueuse, et Laura, la blonde effarouchée. Une grande sensualité se dégage de ce récit où tout n’est que suggestion. L’érotisme se mêle à la monstruosité (l’édition américaine de 1975 présentait Carmilla comme un roman « pervers »).
Carmilla est aussi le premier ouvrage à fidèlement retracer la méthode traditionnelle de destruction du vampire (pieux dans le cœur, décapitation, puis incinération du corps).
Une œuvre originale et novatrice en son temps, empreinte de la sensibilité et de l’élégance, propres aux siècles passés. Une œuvre que l’on n’oublie pas.
D’après http://perso.wanadoo.fr/oscurantis/carmilla.htm